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Fête du don des vaches

Octobre 2019

En avril 2019, à l’occasion des 25e commémorations du génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda, nous avions rencontré les deux groupes de parole animés par Émilienne depuis quelques mois, et nous leur avions promis le don d’une vache pour chacun des deux groupes.
Grâce aux premiers dons, l’Association a pu acheter une vache pour chaque groupe, et en octobre 2019, nous nous sommes rendues à Mushubati pour offrir officiellement les vaches au nom de l’Association.

La fête du don des vaches a eu lieu le 10 octobre 2019, à Mushubati, dans le jardin d’Émilienne, en présence des femmes des deux groupes, chacune accompagnée d’un membre de sa famille, mari ou enfant.

La fête a suivi un protocole traditionnel, tel qu’il se joue lors des dons de vaches entre familles, à l’occasion d’un mariage, par exemple.
La personne qui reçoit la vache en cadeau (ici, les groupes des femmes) accueille chez elle (ici, chez Émilienne) la personne qui offre la vache (ici, les représentants de l’association).

Les vaches sont sorties de l’étable dans laquelle elle attendaient depuis la veille

et sont amenées devant l’ensemble de l’assemblée réunie.
Un feu d’herbes est allumé pour sacraliser les vaches.

Chaque camp (celui qui offre, et celui qui reçoit) est représenté par un vacher, tous deux vêtus en habit traditionnel. Les vachers vont s’affronter au cours d’une joute verbale, rivalisant de superlatifs pour faire l’apologie de la vache, et du symbole que représente le don.

Éloge de la vache

Puis ce seront les discours – de la part des donateurs puis les discours de remerciement de la part des femmes, avec remise de cadeaux en retour (paniers tressés, pagnes, arachides récoltées dans de grands paniers traditionnels).

La fête continue ensuite par le partage de la bière de sorgho, préparée la veille, partage qui scelle l’amitié.

et se termine par des danses où se retrouvent toutes les générations.


Lors de nos rencontres avec les femmes, dans les jours qui ont précédé la fête du don des vaches, elles ont insisté sur l’importance de l’arrivée des vaches qui représentent d’un point de vue technique, fumure, veaux et lait ; elles sont agricultrices et n’ont les moyens de s’acheter que quelques poules, voire une chèvre, et encore en mettant leur argent en commun pendant de longs mois. C’est ce qu’elles font désormais grâce aux tontines mises en place dans des petits groupes formés sur leurs collines, mais une vache reste tout à fait hors de leur portée.
Mais ce qui leur importe le plus, et de loin, c’est l’aspect symbolique du don, sa force spirituelle même : la vache est l’animal symbolique du Rwanda.
L’une d’elle nous dit : « c’est comme une nouvelle naissance, avoir une vache c’est marcher dans les pas de la famille d’avant. » (…) « Je suis vivante avec la vache. »

Pour elles, notre geste, le respect de notre parole, ce « cadeau de la vache » est un « pacte à vie » que nous avons scellé, qui s’étend à tous les donateurs, dans une « chaîne d’amitié ».

C’est aussi une façon de retrouver de la valeur sociale et affective sur les collines, voire un statut spirituel et juridique, puisque quelqu’un « a souhaité la vie pour elles » quand le génocide avait répandu mort et déréliction.
Les noms qu’elles ont choisis pour les deux vaches l’expriment avec force : Imaragahinda signifie « plus jamais le chagrin » et Ineza « acte de bienveillance ».


discours


« Il n’y a rien de plus important, à part la venue d’un enfant dans le mariage, que de recevoir une vache.
Au Rwanda, les cadeaux se font en discrétion, dans des paniers, sans en parler.
La seule chose qu’on offre en démonstration, c’est la vache. Tout le monde doit le savoir.
Ce que vous offrez aux femmes, ce n’est pas seulement de vous à elles, mais de famille à famille.
C’est aussi davantage que la vache. C’est un statut social, psychologique, spirituel, juridique.
Lorsque vous allez apporter la vache, les femmes vont faire des louanges sur la vache en termes très poétiques. Normalement, ce sont les hommes qui échangent les paroles. Aujourd’hui, c’est une histoire de femmes. »



« Merci à Emilienne grâce à qui nous avons trouvé des amies, des sœurs, grâce à qui nous avons trouvé le courage de nous relever, d’y croire. Vous nous avez apporté de l’amour, et cet amour n’a cessé de grandir depuis, il a même traversé les océans pour aller de l’autre côté, c’est extraordinaire, c’est quasi un miracle. Nous ne pouvions imaginer ou espérer trouver des gens qui nous aiment, qui pourraient comprendre nos problèmes.
C’est vrai que certains ne le savent pas, mais la vache, la vache c’est un symbole qui sort de l’ordinaire, quelque chose dont la valeur ne peut se compter. On peut te donner beaucoup d’argent, on peut te donner une maison, on peut te donner plein de choses, mais jamais vous ne verrez personne qui s’exclame en disant « untel m’a donné de l’argent, ou une maison », mais celui qui te donne une vache, c’est l’engagement pour l’éternité, chaque fois que tu vas parler, tu vas invoquer son nom.
Nous venons d’avoir un moment particulier avec ces sœurs venues d’ailleurs, parce qu’elles nous ont donné une vache. C’est un pacte pour l’éternité.
Leurs vaches, c’est quelque chose d’exceptionnel ! Nous pouvons enfin nous aussi avoir une vache.
Quand on s’embrasse en kinyarwanda, il y a des formules qu’on prononce. On souhaite à l’autre d’avoir une vache, d’avoir des enfants et des vaches, tout le temps la vache est au cœur de notre vie. Les enfants naissent mais les enfants vont mieux avec la vache ; quand la vache est là, personne ne peut souffrir de malnutrition, de famine, parce qu’on peut boire le lait, mais aussi on cultive mieux, en plus avec la modernité, on a même appris à fabriquer le biogaz. Donc vous nous avez vraiment donné tout ce qu’il faut pour retrouver la vie et nous vous remercions pour ça. Nous vous remercions, au nom de mes amies, mes sœurs.
Nous ne pouvons rien trouver d’autre à vous donner que de demander pour vous une grande bénédiction, que Dieu vous rendre au centuple ce que vous nous avez donné, qu’il vous donne aussi des gens qui vous donnent à leur tour, et à qui vous donnerez aussi, pour toujours.
Merci. »



« Laissez-moi vous célébrer, laissez-moi vous célébrer
Vous nous avez prouvé l’amour
J’ai envie de vous célébrer, vous êtes les meilleures
Laissez-moi faire comme je peux
Comme nous étions éprouvées, vous nous avez soulagées
Vous vous êtes approchées de nous
Vous avez parlé avec votre cœur quand vous avez réalisé que l’être humain avait été abandonné.
Vous êtes venues vers nous, vous nous avez tirées de là.
Beaucoup d’entre nous n’avaient plus de pensées, ni début ni fin, ni bien ni mal, plus rien n’était sous contrôle.
Comme l’avaient dit des sages rwandais, quand le cœur est englué dans la douleur, il ne peut trier les paroles.
Laissez-moi chanter qui vous êtes, laissez-moi faire comme je peux.
Merci, Émilienne, c’est toi la source de tout ça.
Tu as commencé, nous étions éloignées, nous étions dispersées, et tu nous as cherchées l’une après l’autre, tu nous as regroupées, nous te remercions.
Dieu a été grand, car il a vu ce que tu pouvais faire, et l’a béni.
Mes sœurs, qui naguère ne pouvaient plus rien penser, aujourd’hui pensent beaucoup de choses, ont des projets ou autres.
Merci d’avoir pensé à nous continuellement
Vous avez voulu prouver la joie, et vous l’avez prouvée
Vous pouvez le voir, nous voir ici
Des vaches extraordinaires sont ici devant nous et c’est ce qui regroupe les femmes et les empêcheront de disparaître.
Nous venons de recevoir le signe, le symbole, le pacte de l’amour
Nous sommes réunies, nous célébrons cela.
Vous nous avez autorisé à nouveau à nous comporter comme des enfants qui auraient des proches qui s’occupent d’eux.
Laissez-nous faire comme si nous étions des enfants devant vous.
Si nous devions vous raconter tout ce que nous avons sur le cœur, on passerait la nuit ici. Laissez-nous vous remercier. »


En octobre 2019, entre les deux groupes de femmes et leurs familles, nous avons sans doute touché directement et indirectement 150 personnes, c’est loin d’être dérisoire dans les désastres d’un post génocide. Toutes tiennent à remercier chaleureusement les premiers donateurs qui ont permis que cette action débute. Désormais tout est en place pour que Ndiho-Je suis vivante continue avec « Bienveillance » à ce qu’il n’y ait « plus jamais le chagrin ».